Changement de programme : au premier confinement, le Théâtre de la Ville avait choisi de maintenir un lien avec le public en lui proposant des consultations poétiques par téléphone. Au deuxième, dont on espère qu’il sera le second, il passe de l’oral à l’image, en offrant des spectacles qui étaient prévus en novembre, dans un format particulier : ils sont joués en direct et visibles en streaming sur le site Internet du théâtre ou sur Facebook Live, mais seulement une ou deux fois.
L’idée : que les spectateurs prennent rendez-vous, comme quand ils assistent à une représentation. Qu’ils soient dans l’ici et maintenant du théâtre, autant que faire se peut. David Lescot échappe à la règle : sa nouvelle création, J’ai trop d’amis, a droit à trois passages. Elle a été présentée une première fois le vendredi 6 novembre, à 14 h 30, un horaire spécialement choisi pour les écoles, qui ont été près de 360 à faire découvrir le spectacle à 20 000 élèves, dans toute la France.
Des pas de côté
Nous n’avons pas pu voir cette pièce, taillée pour les préadolescents, qui sera donnée une dernière fois le vendredi 13 novembre, à 18 heures. Mais nous avons pu assister à la préparation de deux autres : Royan, de Marie Ndiaye et Je ne suis plus inquiet, de Scali Delpeyrat, jouée dans une petite salle autrefois réservée aux projections de films. Cette intimité s’accorde au propos : Scali Delpeyrat se livre, seul en scène. Cet acteur, qui s’est fait connaître du grand public avec son rôle de secrétaire général de l’Elysée dans la série de Canal+ Baron Noir, écrit comme il pratique le théâtre, où il s’ouvre à toutes les expériences : en faisant avec talent des pas de côté.
Grand écart culturel, problème existentiel ? Oui et non, car Scali Delpeyrat sait se raconter avec une incongruité qui le rend drôlement attachant. Ecoutez-le parler de la télécommande qu’il a fait encadrer, de la façon dont sont modulées les annonces vocales des stations de métro, du silence du reporter en direct à la télévision, attendant que la question en studio lui parvienne à l’oreille. Ecoutez-le tout court, jeudi 12 novembre à 19 heures, et vous comprendrez pourquoi il a pu appeler sa pièce Je ne suis plus inquiet.
Une femme puissante
Dans Royan, une autre voix solitaire se fait entendre : celle d’une femme, jouée par Nicole Garcia. Mardi 10 novembre, à 21 heures, vous pourrez voir des extraits de ce monologue, accompagnés d’une discussion entre l’actrice et Emmanuel Demarcy-Mota, le directeur du Théâtre de la Ville. L’équipe, dirigée par le metteur en scène Frédéric Bélier Garcia a préféré cette formule, mieux adaptée à l’état des répétitions, encore en cours.
C’est tout l’enjeu de la pièce, qui dresse le portrait d’une femme puissante, dans la lignée de Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye elle dit non. Non à la bonne pensée, aux bons sentiments, à la bonne tenue. Mais, comme toujours chez l’autrice, ce « non » s’accorde à une écriture taillée dans un diamant fauve, qui soulève plus de mystères qu’il n’en résout. C’est un cadeau pour Nicole Garcia, et une ode à son jeu heurté qui renvoie mille et un éclats sur le destin d’une femme.
Les directs du Théâtre de la Ville à suivre sur le site www.theatredelaville.com
J’ai trop d’amis, de David Lescot (Actes Sud-Papiers, 64 p., 10 €). Je ne suis plus inquiet, de Scali Delpeyrat (Actes Sud-Papiers, 72 p., 13,50 €). Royan, de Marie NDiaye (Gallimard, 72 p., 9,50 €).