À l’Atelier, Jacques Weber et François Morel font de la résistance | Le Figaro – 14_12_20
Derrière les portes du théâtre, les comédiens tournent Cyrano. Ils s’interrompent ce soir pour exprimer sur la place Charles-Dullin leur colère devant la fermeture imposée.
Par Philibert Humm
Publié hier à 17 :32, mis à jour hier à 17:44
« Nous ne sommes pas des rebelles. Nous ne sommes pas des révolutionnaires. Nous ne sommes pas des agitateurs. Nous ne sommes pas fous, nous ne sommes pas inconscients. (…) Nous demandons juste à être traités avec respect, intelligence et discernement.»
Ainsi parle Marc Lesage, directeur du Théâtre de l’Atelier. Ce soir, à l’heure même où son théâtre aurait dû rouvrir ses portes, il sera sur le trottoir, place Charles-Dullin, en compagnie de Jacques Weber, François Morel, Audrey Bonnet et quelques autres.
Ni armes, ni haine, ni banderoles vindicatives, seulement l’impérieuse nécessité d’exprimer «leur dégoût et leur colère». Leur écœurement aussi de savoir les grandes surfaces bondées et les consommateurs «stimulés à coups de Black Friday» tandis que les strapontins des salles de spectacle prennent la poussière.
Nous demandons juste à être traités avec respect, intelligence et discernement
Marc Lesage, directeur du Théâtre de l’Atelier
Sur la façade de l’Atelier, l’affiche du dernier spectacle de Jacques Weber commence à gondoler. Trois Farces d’Anton Tchekhov montées par Peter Stein que l’acteur était censé reprendre aujourd’hui.
La pièce a été successivement suspendue, reportée, interrompue, programmée, déprogrammée au gré des annonces gouvernementales.
Weber, qui a passé l’âge de se raconter des histoires, sait que le spectacle est d’ores et déjà tué dans l’œuf. Ses farces ne reprendront sans doute jamais, sacrifiées sur l’autel de la pandémie. Alors il a fallu improviser. Et à ce jeu-là, le comédien n’est pas le dernier.
Un tournage en un claquement de doigts
Dans l’esprit de l’école des Buttes Chaumont qui portait autrefois le théâtre au petit écran, Weber s’est proposé de venir au spectateur qui ne pouvait venir à lui. Michel Field, le directeur des programmes culturels de France Télévisions n’a pas mis longtemps à marcher dans la combine. Marc Lesage non plus. Ainsi a-t-on tourné cet été Atelier Vania, une mise en scène originale de l’œuvre qui sera diffusée dans le courant du mois de janvier. Un confinement plus tard, au tour de Cyrano d’être mis sur le métier.
«À la télévision, soit on tourne en trois ans, soit en un claquement de doigts», tranche Weber, qui a préféré en la circonstance claquer des doigts. Sous la houlette du réalisateur Serge Khalfon, trois caméras grand capteurs ont été mobilisées dans le Théâtre de l’Atelier. Il s’agit d’aller vite car les délais sont serrés: trois semaines de répétition pour six jours de tournage.
Vendredi se jouait la tirade des «Non merci»: «Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite/ Bref, dédaignant d’être le lierre parasite/ Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul/ Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul!»
Le rôle-titre revient à François Morel, sans faux nez ni costume. Sans décor non plus. Comme pour le Vania, les accessoires ont été réduits au minimum. Les comédiens jouent dans leurs vêtements de ville et les différents espaces du théâtre suffisent à planter les actes. Un fatras de fauteuils d’orchestre figure la bataille d’Arras et la scène du balcon se joue… au balcon.
Printemps prochain
« Au théâtre, dans les dernières répétitions, explique Jacques Weber, quand les acteurs sont encore en liberté, il se passe parfois des choses merveilleuses, très décontractées. Des instants de grâce auquel le public a rarement l’occasion d’assister. C’est cette essence-là que nous avons essayé de capter. Ce jeu nu, tel qu’on le retrouve chez Pialat, l’un de mes maîtres.» Quand les acteurs sont encore en liberté, il se passe parfois des choses merveilleuses, très décontractées. Des instants de grâce auquel le public a rarement l’occasion d’assister.
Jacques Weber
Les grands arias d’Edmond Rostand sont mis en majesté et certains morceaux musicalisés. Comme chaque fois qu’il en a l’occasion, Morel, accompagné au piano par son complice Antoine Sahler, fait entendre qu’il a du coffre. Audrey Bonnet en Roxane et Arnaud Charrin en Christian complètent la distribution. Trois semaines de montage suivront, quatre jours d’étalonnage et deux de mixage pour un résultat visible dès le printemps prochain.
En attendant, les tilleuls de la place Charles-Dullin ont fini de perdre leurs feuilles. Sans ses terrasses, sans son théâtre, sans ses spectateurs, l’endroit ne se ressemble plus. «Ce soir pourtant, promet Marc Lesage, nous ferons résonner l’art et la culture par la parole des artistes, avec dignité et responsabilité, pour combattre l’absurdité des mesures prises par ce gouvernement.» Les parisiens sont invités à les rejoindre, masqués comme de bien entendu. Depuis le premier jour, les théâtres se défendent d’avoir jamais compté parmi les foyers de contamination. Le Théâtre de l’Atelier serait plutôt un foyer de résistance. Une résistance qu’on aimerait plus contagieuse encore.
Ce 15 décembre à 18 h 30, rassemblement devant le Théâtre de l’Atelier, place Charles-Dullin à Paris (18e).