Avec “Embrase-moi”, Kaori Ito danse l’amour de façon crue mais pas scabreuse

Emmanuelle Bouchez,

Publié le 19/10/20

Kaori Ito. Depuis une dizaine d’années, l’artiste japonaise installée en France convie toutes sortes de complices dans ses spectacles, comme son père, ou cette fois, son compagnon.

Grégory Batardon

Au Théâtre de La Scala à partir du 20 octobre, la danseuse et chorégraphe japonaise dévoile un journal intime écrit à deux voix avec son compagnon circassien Théo Touvet.

Cet automne est celui de la danseuse et chorégraphe Kaori Ito. Au milieu d’un calendrier chargé de créations récentes (Le Tambour de soie, nô inspiré de Mishima présenté fin octobre à Avignon, ou Chers, recherche sur le thème des ancêtres, présenté début novembre au Centquatre à Paris), se glisse un délicieux intermède : Embrase-moi. Ce journal intime écrit à deux voix est à saisir à la volée, à partir du 20 octobre lors de séances qui s’égrènent jusqu’en janvier 2020, à Paris et ailleurs.

Une performance intense

Depuis une dizaine d’années, l’artiste japonaise installée en France, formée au classique comme à l’école américaine d’Alvin Ailey, a convié toutes sortes de complices, dont son père sculpteur, avec qui elle s’était réconciliée sur scène il y a cinq ans. En 2017, elle a imaginé Embrase-moi, avec son compagnon Théo Touvet, comédien-circassien spécialiste de la roue Cyr passé par le Centre national des arts du cirque, et ingénieur climatologue dans une autre vie. Ce marathon en plusieurs phases commence à la manière d’un pari et finit en performance intense mettant en scène l’amour tel qu’on ne l’a jamais vu. Le couple y célèbre sa rencontre comme une fête drôle et grave à la fois. La première période divise le public en deux. Un groupe suit Kaori, l’autre Théo, avant de se retrouver pour le final où les deux artistes croisent leurs âmes, leur corps et leurs disciplines. Côté Kaori, on fait salon : elle se tient assise entre deux lampadaires, invite le public à poser toutes les questions possibles au fur et à mesure de ses confidences. « UnCV amoureux », rit-elle avant de décliner ses émotions sensuelles et de décrire — anonymement — les garçons avec qui elle a couché en s’amusant des nationalités, des âges ou des préférences. Elle réussit à être crue sans se montrer scabreuse et intègre, avec humour dans son discours, ses attentes comme ses déceptions. Quand les questions du public débordent sur Théo, elle les rejette d’un « vous verrez bien tout à l’heure… ».Si elle évoque leur partition en parallèle, on n’aura pas pour autant celle de Théo. Car on n’a pas moyen d’assister aux deux versions de l’histoire. Dommage !

Changement de salle. Le public se retrouve autour d’un carré central, où, sur le sol blanc, gît un grand cercle : la roue Cyr de Théo. Elle entre, il la suit. Il fait deux têtes de plus qu’elle : il est l’athlète, elle est la danseuse. Ils se regardent et s’épient. Parade d’amour ou duel, quand elle danse autour de lui, quand ils s’affrontent doucement et prennent conscience du corps de l’autre ? Phrases à l’emporte-pièce de Kaori tournant le dos à Théo : « Tu as toujours raison, c’est ça ? » Traduction de celui-ci : « J’ai du mal à accepter que tu aies un autre point de vue que moi ! » Mais les armes sont bientôt déposées. Ils se dévêtissent en même temps, lentement, et dévoilent non sans courage leur nudité dans une lumière claire. Le sérieux l’emporte sur une quelconque dérive équivoque et l’amour, dans ce qu’il a d’absolu, sur un érotisme de circonstance. Ils offrent un ballet de portés acrobatiques fluides où elle se retrouve suspendue, confiante, comme une liane autour de son corps à lui, si solide. Théo a les joues rougies, les yeux d’un bleu intense. Kaori, l’œil noir perçant, dénoue sa longue chevelure. Commence alors la plus étonnante des cérémonies : un voyage de quelques tours ensemble, serrés dans la roue Cyr. Le couple à l’intérieur de l’anneau, tels des amants éternels…

À voir Embrase-moi, de Kaori Ito et Théo Touvet, le 20 octobre à 18h30 ; le 24 novembre à 18h30au Théâtre de La Scala, Paris 10e ;  les 7 et 8 janvier, à L’Hexagone, à Meylan (38).

Kaori Ito, et après quoi ?, lundi 23 novembre à 18h30 et lundi 7 décembre à 18h30, au Théâtre de La Scala, Paris 10e.

Le Tambour de soie, de Kaori Ito et Yoshi Oïda, du 23 au 26 octobre à La Semaine d’art du Festival d’Avignon (84) ; les 29 et 30 octobre à 19h, le 31 octobre à 15h et 19h, le 1er novembre à 15h, au Théâtre de la Ville/Espace Cardin, Paris 8e ; les 17 et 18 décembre à La Maison de la culture, Amiens (80)…

Chers, de Kaori Ito, du 4 au 7 novembre, au Centquatre, Paris 19e ; les 10 et 11 novembre, au Festival TNB // Le Triangle, à Rennes (35) ; le 20 novembre au Théâtre de Châtillon (92) ;
du 26 au 28 novembre, à la Maison des arts et de la culture de Créteil (94) ; le 5
décembre à L’Octogone, à Pully (Suisse) ; le 16 décembre, au Théâtre du fil de l’eau, à Pantin (93)…