Goldoni frénésie au Théâtre de Nice
Le « Feuilleton Goldoni » créé en cette fin de (fausse) saison par Muriel Mayette-Holtz au Théâtre national de Nice est un beau précipité de drôlerie et de mélancolie. En trois fois 1 h 20, « Les Aventures de Zelinda et Lindoro » font un sort à l’amour jaloux, portées par le couple explosif Joséphine de Meaux et Félicien Juttner. Un spectacle à découvrir en tournée à la rentrée.
Lindoro (Félicien Juttner) et Zelinda (Joséphine de Meaux), le patriarche Don Roberto (Charlie Dupont) et son épouse Eleonora (Tania Garbarski). (©Virginie_Lançon)
Publié le 31 mai 2021 à 17:00
Embarquement pour Cythère au Théâtre national de Nice… mais attention, la traversée sera mouvementée. Car c’est l’amour jaloux qui est au centre des « Aventures de Zelinda et Lindoro », le « Feuilleton Goldoni » créé par Muriel Mayette-Holz pour la réouverture de son théâtre (du 20 au 29 mai). Cette trilogie de plus de quatre heures va voyager beaucoup lors de la rentrée prochaine (Paris, Toulouse, Toulon, Liège, Aix, Marseille…) pour la plus grande joie du public. Car, après ces mois de disette théâtrale, la comédie gracieuse et grinçante du maître italien s’avère un parfait remontant. La directrice du TNN a conçu un spectacle rapide, un précipité Goldoni (les pièces ont été judicieusement raccourcies par la traductrice Ginette Herry) qui va crescendo : le premier épisode se décline comme une farce galante ; le deuxième comme un marivaudage cruel ; le troisième comme un vaudeville diabolique à la Feydeau.
Goldoni a écrit cette trilogie en italien en 1764, deux ans après son installation en France. Voilà comme on concevait les sitcoms au XVIIIe siècle : Zelinda, une belle orpheline, et Lindoro, un jeune noble en rupture de ban, s’aiment en secret… Pour être au plus près de sa bien-aimée, femme de chambre chez un généreux patriarche, le garçon s’est fait embaucher comme secrétaire par ce dernier. Malgré de nombreux obstacles et quiproquos (Zelinda est l’objet des convoitises de l’intendant et du fils de la maison), le couple parviendra à convoler en justes noces (épisode 1). Mais pour atteindre la félicité, il lui faudra dompter ses démons : la jalousie maladive de Lindoro (épisode 2) et celle de Zelinda, sur fond de deuil et d’héritage épique (épisode 3).
Noir délire
Muriel Mayette-Holtz dirige sa troupe fringante à un train d’enfer, dans un décor sobre (quelques meubles dont un « canapé freudien », quelques vues de Nice en vidéo…) et des costumes mélangeant allègrement les époques. Le tout est rythmé d’allègres chansons. Partant d’une aimable fantaisie, le spectacle vire peu à peu au noir délire, de plus en plus mordant, surréel et drôle dans les deux derniers épisodes. En couple fusionnel, flirtant avec la dépression et la folie, Joséphine de Meaux et Félicien Juttner sont irrésistibles. Derrière leur passion dévorante, la metteuse en scène orchestre un jeu de caractères assassin (aucun second rôle n’est négligé) où s’exprime toute la palette des sentiments humains.
Mélange ravageur de farce et de mélancolie, ode tendre aux petites gens d’un peuple dont les femmes tiennent les rênes : l’essence du théâtre de Goldoni s’exprime à plein dans ce spectacle généreux qui respire-inspire la joie de revivre enfin.
FEUILLETON GOLDONI
Théâtre
Mis en scène par Muriel Mayette-Holtz
Vu au Théâtre national de Nice le 29 mai en intégrale.
En tournée : La Scala Paris (septembre-octobre); Théâtre de la Cité à Toulouse , Théâtre Liberté à Toulon , Théâtre de Liège (octobre); Théâtre du Jeu de Paume à Aix (novembre), La Criée Théâtre National de Marseille (décembre).
Philippe Chevilley