L’aventure niçoise d’Irina Brook: La vie de la directrice du Théâtre national de Nice est un roman où l’on croise Shakespeare et Iggy Pop. Et, bien sûr, Peter Brook, son père.Par Marion Cocquet
Source : L’aventure niçoise d’Irina Brook – Le Point
La directrice du Théâtre national de Nice (TNN) est pourtant peu faite pour la claustration. Fille du metteur en scène Peter Brook et de la comédienne Natasha Parry, elle a eu les plateaux pour terrain de jeu, pour maisons d’enfance les Bouffes du Nord et la Cartoucherie de Vincennes. Toute jeune, elle voyage au gré des tournées de ses parents : la France, l’Angleterre, l’Afrique, l’Iran. Une enfant de la balle, comme on dit, qui investit la scène une fois le public parti et rêve de premières.
Rock et voyages
À 18 ans, après des années de pension en Angleterre, Irina part pour New York afin de devenir comédienne. Elle suit des cours, écume les scènes rock, rencontre au passage Iggy Pop et fait ses premiers pas sur les planches. Suivent quinze années de tournées et de projets parfois tâtonnants avant qu’elle ose, la trentaine venue, se tourner à son tour vers la mise en scène. « Le projet dont je suis le plus fière est En attendant le songe, une version du Songe d’une nuit d’été avec cinq comédiens, dit-elle. On jouait gratuitement, en plein air, dans les champs. Les gens venaient avec leurs enfants et leur chien, s’asseyaient sur des cartons, regardaient. Aucun prix, aucun molière ne peut me rendre aussi heureuse que de voir des personnes qui n’étaient jamais allées au théâtre rire et pleurer devant Shakespeare. » Parole de qui a en effet été récompensé à de multiples reprises…
Un endroit beau et frustrant
Avant de présenter sa candidature au TNN, Irina Brook rêvait de se bâtir un havre à elle, en bord de Seine : un théâtre de bois, un peu à la manière du Globe de Shakespeare, qui se serait appelé Dream Theatre. Ce sera, à la place, la Méditerranée et le marbre du théâtre de Nice. Pour ouvrir sa première saison, en 2014, elle a choisi Peer Gynt, l’un de ses plus anciens projets. Le chef-d’oeuvre d’Ibsen est chez elle porté par le rock – Iggy Pop a écrit deux chansons – et par des comédiens venus du monde entier. « Ça me semblait résumer assez bien ce que je voulais proposer à Nice : un théâtre multiculturel, multidisciplinaire, ouvert, populaire. »
Projet noble sans doute, mais ardu. Avant son arrivée, le TNN marchait « Formidablement bien, reconnaît-elle, mais sans répondre au cahier des charges d’un centre dramatique national : soutenir des artistes émergents et des compagnies locales, chercher de nouveaux publics, en plus de proposer des pièces classiques et des têtes d’affiche. » Elle a organisé des centaines d’heures de stages pour les jeunes et les enseignants, ouvert les coulisses aux visites, travaillé en milieu carcéral, imaginé des séances pour les malentendants, fait se rencontrer les comédiens niçois…
Les pièces fonctionnent, mais les nouveaux spectateurs tardent à venir. Les flâneurs de la promenade du Paillon par exemple, qui commence pourtant juste devant l’entrée des artistes. « C’est un endroit très beau mais très frustrant : quand je vois les familles qui pique-niquent, les ados, les personnes âgées, je n’arrête pas de me demander comment je pourrais les convaincre de venir au théâtre. » Elle a fait installer là le kiosque du TNN, projette d’y faire jouer des pièces et irait elle-même, si elle s’écoutait, à la rencontre des promeneurs. Fatiguée, peut-être, mais pugnace.
Consultez notre dossier : Nice