Centre Pompidou

­
6 09/2018

Au Centre Pompidou, la littérature c’est Extra ! | l’Humanité

jeudi 6 septembre 2018|Catégories: Art & Patrimoine|Mots-clés: , |

Festival Extra !
© Herve Veronese – Centre Pompidou

La deuxième édition du festival dédié aux littératures hors du livre s’est ouverte hier. Une programmation riche, à découvrir jusqu’au dimanche 9 septembre.

Arrivée le matin même des États-Unis, la poétesse américaine Tracie Morris a créé l’événement de la soirée d’ouverture du festival EXTRA ! avec une lecture performée de textes de son recueil, Hard Korè, poèmes (Joca Seria), traduits en français par Abigail Lang et Vincent Broqua. Venue du slam, militante féministe et antiraciste, elle mêle les expérimentations vocales, le scat, les rythmes bebop et le hip-hop, sa voix puissante fédère les milieux de la poésie orale et les cultures savantes. Comme elle l’a expliqué au micro de Lionel Ruffel, qui anime pendant toute la durée du festival une éphémère Radio Brouhaha (diffusée sur la R22 Tout monde de l’Espace Khiasma), elle se revendique comme une « artiste de la page » qui déploie à l’écrit les jeux de diffractions sonores de ses poèmes.

Une parfaite entrée en matière pour découvrir la riche programmation du festival qui donne à voir la diversité des formes de littérature extra-livresque : performances, art contemporain, lectures et poésie sonore, littérature visuelle ou numérique. Comme le rappelle Jean-Max Colard, directeur artistique d’EXTRA !, Internet est aujourd’hui devenu une gigantesque archive du temps présent, un outil de diffusion et de création pour les auteurs qui s’en emparent, notamment via des vidéos sur Youtube. Au forum du Centre Pompidou (niveau -1), on peut voir les oeuvres de l’artiste azeri Babi Badalov, des tissus chinés, recyclés, sur lesquels il imprime une poésie visuelle, polyglotte et engagée, des jeux de mots (« Cosmopoetism », « DalidaDerrida »), haïkus ou aphorismes. Expulsé du Royaume-Uni et exilé politique en France, il fait aussi de la question des migrants un sujet de littérature. Dans la salle attenante, l’écrivain et critique d’art Jean-Yves Jouannais tient une permanence littéraire et invite le public à pénétrer dans la fabrique de son Encyclopédie des guerres, un projet au long cours qui l’occupe depuis dix ans, à raison d’une séance par mois. Au mur et dans des vitrines, sont exposés des objets liés aux guerres, parfois très personnels comme la lettre d’engagement militaire d’un certain Jean Jouannais, comme « un petit musée des arts et traditions populaires».

Lauréat en 2107 de la mention spéciale du Prix Littéraire Bernard Heidsieck (remis cette année à la poétesse Michèle Métail), l’artiste italien Lamberto Pignotti a développé un projet de tapisseries inspirées de photographies de presse et installé des bannières mêlant texte et images qui retracent les rencontres marquantes de sa vie. Né en 1926, il a théorisé les premières formes de « poésie technologique » et de « poésie visuelle ». La jeune génération d’artistes contemporains n’est pas en reste avec Consulting de Laure Vauthier, qui questionne l’idéologie de la performance et les stratégies de management du monde de l’entreprise en recueillant les conseils des visiteurs pour « devenir une super artiste ». Mémoire vivante du festival, l’artiste Romain Gandolphe raconte dans ses vidéos ce qu’il a vu la veille et imagine ce que sera le lendemain.

Parmi les rendez-vous de cette deuxième édition, programmée par Jean-Max Colard et Aurélie Olivier, on retiendra les Mainardises de la poétesse Cécile Mainardi, des déclinaisons de son Degré rose de l’écriture ou le Banquet fantôme (samedi 8 septembre à 20H) de l’écrivaine franco-japonaise Ryoko Sekiguchi, une soirée inscrite dans le « moment japonais » du festival, qui mêlera les prises de paroles, les expériences sensorielles et gustatives autour du thème des spectres. A ne pas manquer, samedi après-midi la lecture fleuve de Chloé Delaume dans le Jardin d’Hiver de Jean Dubuffet (4e étage), une oeuvre où elle venait se réfugier adolescente. Dans cette grotte rassurante, elle lira, quatre heures durant, des fragments d’ Artaud, Apollinaire, Salvayre, Jarry, Queneau, Pérec, Cadiot, Quintane… « mosaïque historique» et « panthéon personnel ».

Avec « EXTRA ! », le Centre Pompidou inscrit la littérature dans le champ de l’art contemporain  et propose une enthousiasmante alternative aux classiques rendez-vous de la rentrée littéraire. Courez-y !

Source: l’Humanité

14 06/2018

Philippe Mangeot, sentir, savoir et pouvoir | Libération

jeudi 14 juin 2018|Catégories: Spectacle Vivant|Mots-clés: , |

Philippe-Mangeot
© Edouard Caupeil

L’intellectuel prof de lettres, coscénariste de «120 BPM», anime un fascinant Observatoire des passions contemporaines.

Sa maison ressemble à un phare. Une haute saillie dans une cour intérieure, arborée et pépiante, en plein Est de Paris. Philippe Mangeot, telle une vigie, se signale souriant à une fenêtre du deuxième. L’intellectuel reçoit chez lui, loin de la petite salle du centre Pompidou et de son rendez-vous à l’intitulé intrigant : l’Observatoire des passions. Il y questionne chaque mois les nouveaux terrains de passions contemporaines, avec des invités, une joggeuse effrénée, un drogué expérimental ou, ce dimanche, un chorégraphe et un philosophe performeur sur la «pensée par corps». Ce matin-là, il s’avoue intimidé. Il ne s’agit plus de susciter le témoignage ou de parler au public, mais de soi, alors il fume beaucoup. Rit souvent aussi. Même si la vie qu’il déroule se jonche de drames et de morts, hantée longtemps par sa propre fin du sida. De choses dont il parle à son psychanalyste, avec lequel il enchaîne ensuite. Ce deleuzien convaincu s’est résolu à consulter «après un deuil de trop». Deux fois par semaine, face à celui qu’il surnomme le «docteur Voilà», qui ne dit jamais rien à part «voilà».

C’est sur son scooter, quand il traverse Paris pour se rendre au lycée Lakanal, à Sceaux, où il enseigne les lettres en khâgne, qu’il rode ses idées. Sous le casque, il a ainsi turbiné sur les passions. Et traité le sujet avec le grand écart jubilatoire et temporel qui le caractérise : de l’Antiquité à aujourd’hui, de saint Augustin qui a repéré trois passions primaires – sentir, savoir et pouvoir -, aux gays sexy qui se filment fumant une cigarette sur YouTube. «Avec le Net, c’est la première fois qu’on dispose à la fois d’une archive et d’un terrain d’exercice de l’intégralité des passions humaines», en a-t-il déduit. Quand Jean-Max Colard, du département de la parole à Beaubourg, lui a proposé un atelier à l’année, cet adepte du collectif a refusé une première fois, puis accepté à la seconde, plein de son désir de creuser les passions à l’âge du Net.

C’est au collège que la grande gigue qu’il était a opté pour l’excellence la première fois où on l’a traité de «pédé». «J’ai décidé ce jour-là qu’on ne m’emmerderait plus jamais.» Pourtant issu d’un milieu familial scientifique, père cadre dans un labo pharmaceutique et mère enseignante-chercheuse en biochimie – «des belles personnes» -, il entre en hypokhâgne et devient studieux. Avant, il se décrit comme un joueur de bonneteau, habile à disserter comme il faut. Mais, à 21 ans, à peine à Normale Sup, il se découvre séropositif. L’effroi. «A cette époque-là, on ne sait pas quand, mais on sait qu’on va mourir. J’ai décidé de faire comme si je n’allais pas mourir.» Il cravache pour passer l’agrégation de lettres modernes, file à Oxford pour une thèse sur les carnets de Coleridge, auquel il renonce vu l’ampleur de la tâche, lui préférant Jules Verne.

Cette même année, en 1990, le livre d’Hervé Guibert, A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, le heurte. «J’y lis, validé par tous les médias, un récit d’acceptation du sidéen consentant qui allait devenir le récit officiel.» Avec son ami PierreTrividic, ils décident d’aller voir Act Up, petite association naissante pour qui «le sida n’a pas de sens». Tout de suite, il se sent chez lui. Trois jours après avoir débarqué, il s’allonge avec une dizaine d’autres, rue de Bièvre, devant chez Mitterrand. «Je découvre qu’on va pouvoir rentrer dans les ministères, qu’on va pouvoir tout faire.» S’il quitte cette école de la parole publique, de la pensée politique et de l’activisme au bout de treize ans, c’est parce qu’il se sent comme un vieux con dans un monde où la donne a changé en matière de lutte contre le VIH. Et il ne meurt pas, «chance inouïe»,mais perd en 1993 son amour, Jim, danseur magnifique chez Daniel Larrieu. «Veuf trois fois, dont un mort du sida», répète-t-il. Le dernier, celui «de trop», a été son amant du dimanche pendant vingt ans. «Je suis très bon en oraison funèbre. Si vous mourez, demandez-moi…»

Intellectuel sans publications, cela l’a gêné et ne le gêne plus. «Si le centre de gravité de ma vie, c’est d’être prof, l’œuvre est là. Se dire qu’une œuvre, c’est un chantier de vie.» En fait, il a beaucoup gratté, par fragments, en particulier dans Vacarme, la revue qu’il a cofondée en 1997 à l’initiative du philosophe Pierre Zaoui, avec la bande d’Ulm connue du temps du fanzine le Couteau entre les dents. La revue se fabrique dans le phare Mangeot, à la fidélité éternelle. Ah si, il porte en lui un projet de livre. Sur le basculement du rapport au sida en 1996-1997 avec l’arrivée des trithérapies, après le plus fort de l’épidémie, traitées dans 120 Battements par minute, le film de Campillo qu’il a coécrit. «Qu’est-ce que ça veut dire de s’être préparé collectivement pour la mort, et que brusquement la vie se rouvre ?» Deux ans d’une indicible mélancolie dont personne n’osera parler, sauf par un prisme militant, comme la suppression de l’allocation adulte handicapé.

D’une vitalité facétieuse, son ami Trividic dit de lui qu’il a un côté «éternel jeune homme».Mangeot se fabrique des philosophies portatives. Une nuit de désespoir, après avoir été plaqué par Mario, il se réveille avec l’intuition de la «gracieuse philosophie». Aucune trace sur Internet. Alors qu’il pleurait tout le temps, l’expression le fait rire. «En gros, la gracieuse philosophie, c’est savoir que la vie est un processus de démolition et accueillir ce savoir avec joie.» Un de ses derniers dadas, c’est de nourrir un journal sur Instagram via la photographie plutôt que l’écriture, via l’anglais «parce que c’est une fiction de moi, une façon d’être là sans être là». Il aime ce lieu commun à tous, qui n’est pas discriminant. Cela permet aussi de donner des nouvelles à ses trois amoureux du moment en toute transparence réciproque.

L’intérêt pour les gens reste une ligne dans sa vie. Après une lecture éblouie de Rancière, il a compris qu’on pouvait affirmer l’égalité des intelligences. «Mon boulot, partout où je le fais, c’est d’être à l’écoute des gens et de leur expérience.» L’inverse de ce que font les politiques, «qui nous demandent de voter et de nous taire après». Les quarante-huit heures de garde à vue des lycéens d’Arago, «d’enfants qui sont en train de se socialiser politiquement», le rendent fou de rage. Sans parler de la nouvelle loi sur les étrangers. Membre du collectif Cette France-là, il avait contribué à un annuaire des politiques de l’immigration sous Sarkozy. «On va reprendre du service sous Macron», promet le militant, qui annonce un numéro de Vacarme sur la démocratie prise en étau entre néolibéralisme, intégrisme religieux et nationalisme. Bavard par timidité, espiègle par résistance, Philippe Mangeot a laissé passer l’heure de la psychanalyse. «Je lui dirai que c’est de votre faute.» Voilà.

1965 : naissance.
1986 : il se découvre séropositif.
1993 : entre à Act Up.
1997 : cofondation de la revue Vacarme et président d’Act Up.
17 juin 2018 : l’Observatoire des passions #5.

Source: Libération

18 04/2018

A Beaubourg, Les passions sous le regard de Philippe Mangeot | Les Echos

mercredi 18 avril 2018|Catégories: Art & Patrimoine|Mots-clés: , |

Philippe Mangeot
© Hervé Veronese/Centre Pompidou

Enseignant, ex-militant et ex-président de l’association de lutte contre le sida Act-Up, coscénariste de « 120 battements par minute « , Philippe Mangeot anime, durant toute l’année 2018, un « Observatoire des passions  » au Centre Pompidou. Interview.

Vous êtes « Le grand invité de la parole  » du Centre Pompidou en 2018. Comment est né ce projet ?

C’était il y a environ un an et demi. A son arrivée comme responsable du Département de la parole du Centre Pompidou, Jean-Max Colard a demandé à me voir. Il voulait mettre sur pied un nouveau genre de conférences. Ce que je lui ai dit croisait sa préoccupation du moment de ne pas souscrire au modèle unique de la conférence « one shot ».
Je crois que des choses les plus intéressantes ne peuvent se faire que sur le long terme. Par exemple « L’Encyclopédie des guerres « , de Jean-Yves Jouannais, qui a été lancé en 2008 et qui a trouvé son public, et qui a contribué à réidentifier Beaubourg. C’est une sorte de one man show intellectuel, de stand-up laboratoire. Quelque chose comme une oeuvre intellectuelle. Pour moi, c’était une sorte de modèle. Mais un modèle, ça ne se reproduit pas tel quel…

Vous engagez alors quelque chose avec Jean-Max Colard ?

Non. Pour plusieurs raisons. D’abord, un sentiment d’illégitimité : la chose au monde la mieux partagée ! Ensuite, le fait que je n’étais pas une femme, et que je trouverais intéressant que ce ne soit pas toujours les garçons qui passent en premier. Troisième raison : en devenant prof en classes préparatoires, j’ai fait le choix de n’avoir pas de spécialité. Si j’intervenais à Beaubourg, ce ne serait donc pas dans le cadre d’un champ de spécialité qui serait le mien.

J’ai beau avoir la vanité de penser que les idées les plus fortes naissent plutôt entre les spécialités qu’en leur sein, cela représentait un travail supplémentaire, et j’étais à l’époque très fatigué. C’est Philippe Artières, auquel Jean-Max Colard avait du reste également pensé, qui a inauguré ces cycles avec un très beau projet autour de la question de l’archive.

Du temps a passé et Jean-Max Colard vous a rappelé au printemps dernier. Et…

Et je lui ai dit oui, en lui proposant le thème des passions contemporaines. J’avais travaillé sur Marivaux, j’étais allé voir du côté de Saint Augustin, j’avais été frappé par la façon dont les classiques pensaient l’homme comme jouet passionnel, alors que nous mettons aujourd’hui au premier plan les déterminations économiques.

Et puis, j’ai été happé par la question des modalités de rencontres dans le monde virtuel, notamment des rencontres sexuelles. On dispose aujourd’hui, à portée de clic, chez soi, à la fois d’une archive et d’un terrain d’expérimentation, voire d’invention, de l’ensemble des passions humaines.

Quel est donc le dispositif que vous proposez au Centre Pompidou ?

Mon dispositif comporte deux volets : ce que j’ai appelé « l’Observatoire des passions » proprement dit et des événements parallèles sur le thème des passions. Ces derniers peuvent être en lien avec le musée. Nous travaillons actuellement sur l’hypothèse d’une visite ou une « revisite » passionnelle des collections. Je demanderai par exemple à un conservateur, à un restaurateur d’oeuvres ou à un gardien d’identifier une ou deux oeuvres avec lesquelles il a un rapport passionnel – qui peut être aussi un rapport d’hostilité ou un rapport de possession jalouse – et de faire une visite guidée commentée. Ca, c’est « L’Observatoire » qui se déplace au musée.

« L’Observatoire » se déplace aussi à « L’Assemblée générale », c’est-à-dire aux commémorations de mai 68. J’ai proposé une soirée sur les passions tristes dans les mobilisations politiques, celles qui entament la joie des soulèvements : amour du chef, volonté que ça s’écroule une fois qu’on est parti, soupçons, amour exclusif des structures, etc. Toutes ces choses qu’en tant que militant, j’ai vues et connues.

Et « L’Observatoire des passions » proprement dit, qu’est-ce donc ?

Une fois par mois, j’invite trois personnes à discuter ensemble. Deux personnes qui sont engagées dans une pratique passionnelle particulière, dont l’une a un lien avec les technologies modernes. Et une troisième qui pense les passions dans sa discipline de chercheur.

Lors de la première séance, il y avait un couple de collectionneurs d’art conceptuel, qui consacrent leur argent à des oeuvres dont la visibilité et le mode d’existence sont précaires, un joueur de jeux vidéo et le philosophe Pierre Zaoui. En mars, il y avait une marathonienne – la question de l’articulation entre souffrance et jouissance m’intéresse -, un Instagramer à plusieurs centaines de milliers de posts et de followers et l’économiste Frédéric Lordon.

Et le 20 avril, il y aura un usager de drogue qui a un rapport passionnel, et pas seulement addictif, à la drogue, une fan d’une chanteuse lyrique, qu’elle suit partout, et Claude Millet, professeure de littérature et spécialiste du romantisme.

Concrètement, comment ça se passe ?

Après une introduction et une remise en contexte que je fais, une conversation s’instaure avec les invités. Ce que je cherche, c’est le point d’équilibre entre ce qui relève du travail (les séminaires) et ce qui relève du spectacle. Sachant que les séminaires m’emmerdent souvent parce que je n’y vois que de l’entre-soi et que l’entre-soi me fatigue, et que les shows m’emmerdent parce que j’ai envie d’aller danser sur scène avec les gens !

Le public participe, pose des questions, intervient. A chaque séance, la salle, qui peut contenir 160-180 personnes, est pleine. C’est assez joyeux !

Parmi les activités que vous avez hors de votre travail de prof, vous avez été coscénariste de « 120 battements par minute ». L’énorme succès du film en France vous a-t-il surpris ?

Ca a surpris tout le monde ! Personnellement, je n’avais pas de doute sur le fait que « 120 BPM » était réussi. Mais je crois que la surprise a commencé bien avant, lorsque les financements ont été accordés plutôt facilement. Cela tient à la qualité du scénario, mais pas seulement : beaucoup de bons scénarios ne trouvent pas de financements.

Je crois que le film tombait juste et au bon moment. Peut-être cela a-t-il à voir avec l’arithmétique de la mémoire.

C’est-à-dire ? On ne peut pas dire que le sida soit encore un thème médiatique central…

Oui, j’ai pu vérifier à quel point le sida n’est plus du tout un sujet médiatique central. Le film est peut-être arrivé à un moment à la fois de panne politique et de désir politique. Le film s’est écrit au moment de Nuit debout. Je persiste à penser qu’au-delà de la mobilisation contre la loi Travail, ce qui s’y est dit alors, c’est : il y a d’autres choses à faire de la place bien-nommée de la République qu’un mausolée post-attentats. Après tout, c’était ça, déjà, le geste d’Act-Up : il y a d’autres choses à faire que d’enterrer nos morts.

Et puis il y a peut-être le fait que les 15-25 ans, qui ont fait une grande part du succès de « 120 BPM « , n’ont pas connu cette époque, dont ils sont les héritiers, alors même que le film représente des gens de leur âge. Ceux chez qui la réception du film n’a pas du tout été teintée d’une inquiétude existentielle l’ont pris comme un cadeau, une invitation.

Pensez-vous que ce côté politique d’Act-Up est perçu par les jeunes dont vous parlez ?

Chez ceux que je connais, en tout cas – certains de mes étudiants, par exemple -, oui. Il y a chez eux un désir très fort de se rassembler, de se retrouver physiquement. D’autant plus fort qu’avec le Net, la forme de la discussion a basculé. Les forums ouvrent des possibilités faramineuses et géniales. Mais en même temps, ça s’accompagne soit, chez des gens de notre génération, d’une nostalgie, soit, chez des gens de leur génération, d’une mélancolie. Nostalgie et mélancolie se retrouvant sur un désir de rassemblement des corps.

« 120 BPM » est un film où on s’engueule beaucoup, mais aussi où on s’aime beaucoup. Je crois que les gens ont vu cela. Il me semble qu’une des choses qu’on a réussies, c’est ça : donner à voir à la fois le tranchant de la discussion et les puissances d’amour. Et les acteurs sont superbes parce qu’ils ont compris ça.

Avez-vous hésité quand Robin Campillo vous a demandé d’être son coscénariste ?

J’ai dit « oui » très vite. Parce que j’avais le sentiment que c’était le bon moment. Dans son livre « Ce que le sida m’a fait », Elisabeth Lebovici demande à un collectif d’artistes femmes lesbiennes impliquées dans le sida pourquoi elles font une rétrospective à un moment donné. Et elles répondent : 25 ans, c’est le temps pour trouver au chagrin les moyens de s’exprimer. Je ne sais pas si c’est vrai. Mais quand l’équipe du film m’a sollicité, j’ai pensé quelque chose de cet ordre-là. J’ai pensé « il est temps ».

Deux choses m’ont quand même fait hésiter. La première : la crainte de retourner vers des moments extraordinairement vivants et de vérifier que je suis moins vivant aujourd’hui qu’à l’époque. La seconde : la crainte de retourner vers des moments extrêmement douloureux. Les deux se sont produits…

L’écriture a été à la fois nostalgique et bouleversée. Parce qu’il faut ouvrir les tombeaux, mettre au travail les fantômes. Ce qu’on a beaucoup fait. « 120 BPM  » est un film plein de fantômes, mais ce n’est pas un film crépusculaire. C’est un film sur la puissance vitale.

Source: Les Echos

18 09/2017

Litterature extended* | mouvement.net

lundi 18 septembre 2017|Catégories: Art & Patrimoine, Festivals|Mots-clés: , |


Martine Aballéa, Le Salon dans la vallée © Martine Aballéa

Les mots sont venus s’ébattre hors du livre au Festival Extra! au Centre Pompidou. Lecteur indiscipliné, Mouvement a tendu les yeux et les oreilles ici et là. Florilège non exhaustif.

Dans le forum -1, transformé en vallée verdoyante par l’artiste Martine Alballéa, la littérature est une plante bien vivace. Artistes et penseurs de tout poil sont venus donner à voir et à entendre le texte hors du livre.

Dans un même espace ouvert tout se croise, projections d’archives de poésie sonore sur les murs, performances en salon ouvert, tables rondes où auteurs/artistes/performers, universitaires, éditeurs viennent penser ce qui est fait et comment cela se fait, retransmis en direct par Radio Brouhaha. Joindre le geste, la parole, la pensée et le corps ; le passé dans le présent comme une même durée créatrice. Ainsi Roger Chartier, historien du livre et de la lecture au Collège de France, de nous rappeler que « très tôt la littérature sort des livres. Par les adaptations théâtrales, les représentations iconographiques, la transmission orale ». Aurait-on même oublié que la littérature précédait même l’invention du livre ? Que l’on parle de la création littéraire et/ou de sa diffusion.

Auteur, écrire des livres ? Ou encore n’écrire que des livres ? Cela fait bien des décennies qu’on utilise le contenant pour le contenu, que le mot livre vient désigner littérature au point de la recouvrir. Comme la partie pour le tout – dire la gauche et penser PS (avant avril 2017), l’Amérique pour les États-Unis. Un glissement de sens qui rogne le tout de la littérature, comme un « ensemble des productions intellectuelles qui se lisent et s’écoutent ». Extra! invite à sortir hors des sentiers rebattus. Pour Jean-Max Colard (programmateur d’Extra! Et chef du service de la Parole au Centre) « l’hégémonie du livre est une époque révolue. La production littéraire est une activité qui s’étend hors du livre – pour ne pas dire s’échappe car il ne s’agit pas d’aller contre le livre. Elle investit d’autres champs. Ce n’est pas une affaire de générations. On a des artistes qui construisent leur expérience littéraire ailleurs que dans et par les livres ».

De la littérature comme art contemporain

La littérature faite corps se tient debout au milieu du Salon dans la vallée. Laura Vazquez, Arno Calleja et Simon Allonneau font de la poésie sonore in situ et in vivo : des textes écrits pour être dits et incarnés avant de trouver le support livre, s’ils le trouvent. Les deux premiers étaient là pour nous faire entendre leurs Astro poèmes, aux prévisions déroutantes révolutionnant ainsi l’art des signes. Lauréate du prix de la poésie 2014, très active sur les vidéos performances, Laura Vazquez signe sa littérature d’un timbre lancinant, fait d’anaphores hypnotisantes. Procédé étrangement antalgique pour des phrases qui s’emparent de la réalité au scalpel. Tout aussi incisif, Simon Allonneau en frontal envisage de « Chanter la Marseillaise sur le mode interrogatif ». Masse et débit granitiques, mouvement minimaliste et obsessionnel de la main droite qui accroche le regard et aiguise des phrases fulgurantes dont le caractère faussement naïf décape la réalité de tout apprêt.

Autre style, apparemment plus posé, Emmanuelle Pireyre, prix Médicis avec sa Féérie générale, nous entraîne dans son algorithme le temps d’une websession. L’artiste qui navigue sans complexe entre livre, chanson et vidéo, lie son écriture à un univers connecté. De Youtube (musiques, séries…) à des archives en ligne (journaux, Ina, plateforme HAL…), elle nous raconte comment « la fiction pousse » à partir d’un questionnement sur l’homme-chien. « Bombarder de documents, comment on fait un livre avec tout ça. J’envisage la littérature comme une grammaire dans laquelle on ferait entrer des choses. La littérature, c’est une syntaxe singulière, rigoureuse et un peu folle. »

Ecrire-écouter-lire

« La question de la matérialité se déporte sur le relationnel. Entrer dans la littérature, c’est entrer dans le lieu des usages, le partage, la sociabilité », souligne François Bon, auteur et figure de proue de la littérature numérique. Et ceci interpelle tant au niveau de la création que de la diffusion ou de la réception. La littérature hors-livre convoque l’autre dans une présence signifiante et immédiate. Comment s’y tenir en tant que « lecteur » ? C’est encore une question de corps, d’espace et de temps.

25 minutes, c’est le temps que Julien Bismuth s’impartit pour écrire une page pleine sur son ordinateur, image projetée. Trois jours de suite. Nouveau jour, nouvelle page. Dernière minute, dernier mot et inversement. Il n’est pas question ici d’écrire un livre, le texte est improvisé et a pour sujet la performance elle-même. Julien Bismuth est un « non-écrivain » qui interroge les conditions d’existence du langage et ses utilisations ; ici l’écrire et le lire : « un texte est une réalité qui exige une forme de lecture ou d’écoute ou de compréhension ». Assis sur des bancs ou debout autour de l’artiste, à quoi assiste-t-on ?


Performance de Julien Bismuth au Centre Pompidou. p. Hervé Veronese 

Ce n’est pas tant le sujet ou la manière d’écrire qui ici agite mais la situation d’énonciation qui est mise en place, une conversation silencieuse mettant à jour un geste d’écriture et un contexte de lecture. Topos de la page blanche évincé au profit de la contrainte temporelle. Tranquille au début, la respiration de l’auteur se fait plus haletante, inquiète, les doigts se frottent et se touchent plus nerveusement. Le curseur efface, revient en arrière, pour corriger une faute, reprendre une formule ou réécrire la même chose. « C’est drôle, le texte existe sous différentes formes. On est nombreux à prendre des photos du texte projeté mais à des moments différents. On aura des traces différentes, une œuvre à plusieurs temps. Et lui, il sauvegarde ce qu’il fait ? » s’interroge une « lectrice-spectatrice ». Julien Bismuth sauvegarde le fichier de chaque jour et fait une capture vidéo du temps de l’écriture. Ce qui l’intéresse : « quand la lecture se déplace sans cesse, elle est sans cesse bousculée, désaxée, déconstruite même par ce qui se passe autour ».

Par Natacha Margotteau

*Litterature extended, expression empruntée à Jean-Max Colard

Extra ! a eu lieu du 8 au 10 septembre au Centre Pompidou, Paris

Source: Mouvement.net

12 09/2017

La littérature fait sa mue au festival Extra ! | Les Echos

mardi 12 septembre 2017|Catégories: Art & Patrimoine, Festivals|Mots-clés: , |


La littérature fait sa mue au festival Extra ! / © Hervé Veronese

En marge de la rentrée littéraire, le festival Extra explore les littératures « hors livre » pendant cinq jours au Centre Pompidou.

Le livre a perdu de sa superbe. La faute à la radio, puis à la télévision et aujourd’hui à internet… On connaît la chanson. Mais si le public lit moins de livres, doit-on nécessairement conclure qu’il ne lit plus ? La littérature est elle en perdition parce que « l’objet livre » est rendu obsolète par les écrans d’ordinateur et les liseuses électroniques ? Le festival « Extra ! » au Centre Pompidou se moque bien des Cassandre. La littérature évolue, et, comme le fredonnait Léo Ferré, « c’est extra ! ». Jusqu’au dimanche 10 septembre, la première édition du festival réunit un ensemble de manifestations littéraires pour fêter la littérature « hors livre », selon la formule du poète sonore français Bernard Heidsieck. En pleine rentrée littéraire, c’est un joyeux pied de nez à l’establishment du folio papier.

Derrière le concept du « hors livre » se logent toutes les occurrences littéraires existant par d’autres formats que le livre imprimé : la performance artistique, l’écriture numérique, le film poème, la lecture à haute voix, le rap, le slam… soit toute forme d’art plastique ou audiovisuel revendiquant un geste littéraire. Aussi, il n’est pas étonnant que le Centre-Pompidou, qui célèbre l’innovation artistique depuis sa création en 1977, se soit emparé de cette forme d’expression éclatée. Jean Max Collard, programmateur d’Extra ! et chef du département « Parole » au Centre Pompidou, insiste : « ce festival se dresse contre ceux qui disent que la littérature s’est repliée sur elle-même. De nouvelles formes littéraires naissent dans le sillage du numérique. Extra ! met en avant cette reconfiguration du paysage, en proposant des formes alternatives. »

Ces proliférations littéraires sont encore peu familières au grand public. Peu visibles, diffusées de manière sporadique, attirant un public de niche, les littératures hors livre laissent par définition peu de traces. Dès lors, pour Serge Lasvignes, directeur du Centre Pompidou, la création d’un prix devrait permettre de graver ces formes d’art dans la pierre des institutions. La figure tutélaire de Bernard Heidsieck s’est imposée d’emblée, souligne Jean-Max Collard. Lauréat 1991 du grand prix national de la poésie, pionnier de la « poésie sonore », invité régulier du Centre Pompidou, il défendait le renouvellement des formes poétiques par le biais de médias dissidents comme le magnétophone et la performance physique.

C’est Caroline Bergvall, artiste franco norvégienne connue pour ses créations visuelles et sonores, a reçu ce premier prix Bernard Heidsieck – Centre Pompidou de l’année 2017. Elle se réjouit de cette évolution du champ de la littérature : « je me perçois comme une écrivain qui travaille le livre mais aussi l’ailleurs du livre. J’écris, et j’utilise aussi d’autres supports : le dessin, la vidéo, la performance, qui sont aussi des formes d’écritures. » Les deux autres récipiendaires sont John Giorno, récompensé pour l’ensemble de son oeuvre, et Lamberto Pignotti, qui obtient la mention spéciale Fondazione Bonotto, partenaire et mécène du prix.

FORMES MILLÉNAIRES

Tout en explorant le futur, le festival renoue avec des formes de littérature millénaires. Les chants d’Homère, les contes populaires, le théâtre même relèvent à l’origine d’une littérature strictement orale – et « poème » vient du latin carmen, chant. Dès lors, le livre pourrait n’être qu’un moment d’une longue histoire littéraire qui basculerait demain sur d’autres supports, numériques, plastiques, sonores, visuels… et les temps changent déjà : le prix Nobel de littérature 2016 n’a-t-il pas été remis au chanteur Bob Dylan ?


© Hervé Veronese

On ne manquera pas durant ces quelques jours « extras » les performances de l’auteur performeur Julien Bismuth, qui écrira tous les jours à 18h30 face au public, et dont le texte en train de se faire sera projeté en direct ; le showcase du rapport Elom 20ce (vendredi 20h30) et le spectacle libertin de Catherine Robbe-Grillet (samedi 20h) qui promet bien des plaisirs ; dans le sillon de la rentrée littéraire, Joy Sorman, Célia Houdart et Yannick Haenel (19h jeudi, samedi et dimanche) viendront parler de leur dernier roman. Littérature sonore, nous voilà !

Esther Attias

EXTRA!
Paris, Centre Pomidou, jusqu’au 10 septembre, www.centrepompidou.fr

Source : Les Echos