Festival Arte Flamenco

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28 06/2021

Festival. Arte Flamenco, le Duende en son arène | l’Humanité 27-06-21

lundi 28 juin 2021|Catégories: Spectacle Vivant|Mots-clés: |

CULTURE ET SAVOIRS

Festival Arte Flamenco

27 Juin 2021

Génica Baczynski

Arte Flamenco revient en ses terres du 29 juin au 3 juillet à Mont-de-Marsan. La contrainte du plein air est ici, dans les arènes du Plumaçon, à la fois un retour à une forme originelle et l’écrin tragique de cet art « insensé ».

On attendait Arte Flamenco peut-être plus que n’importe quel autre festival, l’année aveugle a décuplé l’envie d’embarquer à nouveau sur les mers aux mille et un récits, aux mille et un « palos ». Les quelques jours à Mont-de-Marsan sont un exil qu’aucun autre voyage ne peut inventer ni même rêver. Le festival est une traversée où l’on se révèle en aficionados souvent insoupçonné et à jamais possédé par cet art du ravissement enfiévré.

Langue charnelle et magique

Le flamenco dévore tout le paysage. Il réenchante les êtres qui s’aventurent dans le noir merveilleux de ses bras. Alors, pour le spectateur, il n’existe plus que cette langue charnelle et magique qui jamais ne se répète. Le flamenco est un art du sortilège. Le désir ne voudrait jamais en partir et pour toujours en pâtir. On ne raisonne pas, on succombe corps et âme à cette réalité résolue à être enfin vagabonde. On est toujours, même dans ce décor où les obligations modèlent une absolue liberté, dans cet incendie des émotions. Les arènes concrétisent à la perfection ce continent où l’enfermement n’est jamais autre chose que l’éventualité de raconter des histoires pour esquiver la mort.

Dans cette ville métamorphosée en âme sévillane, on s’enivre à la mesure des débats, des bodegas et des bavardages cadencés

Tout au long de la journée, dans cette ville métamorphosée en âme sévillane, on s’enivre à la mesure des débats, des bodegas et des bavardages cadencés autour des artistes. En particulier, cette année, avec la lecture sonore des Danseurs de l’aube. La vie de Sylvin Rubinstein – héros somptueux, juif russe, danseur de flamenco jusqu’à son dernier souffle, inépuisable résistant contre les nazis – s’y raconte dans l’écho d’un jeune danseur en quête d’origine comme de légende.

Les mythes tissent leurs hypothèses

Tous les soirs, à la tombée du jour, au cœur du monde qui se rejoue dans l’arène, les virtuoses du flamenco défient le ciel en lui disputant ses chants intempestifs. Comme une nuit du monde où les mythes tissent leurs hypothèses, Rafaela Carrasco , immense danseuse, chorégraphe, que l’on croirait évadée du tableau Gitane à la cigarette, de Matisse, y dévoile Ariadna, al hilo del mito, écrit par le dramaturge Alavaro Tato. Elle vole sur les pas d’Ariane, figure funeste comme le sont les destinées soumises à l’inconstance fatale des hommes.

De Rafaela Carrasco, il émane une résistance inouïe. On la croirait sortie d’un brasier de rébellion. Elle est plus qu’une apparition, elle est le présage d’un refus comme une utopie qui ne cède rien de sa grâce à la brutalité du monde. Elle soulève l’esprit. Elle est une intelligence en mouvement. Telle Shéhérazade, réussissant à se soustraire d’un destin sans promesse par la parole, elle danse jusqu’à désarmer la violence et le silence. La Gitane embrase Ariane, devenue ombre, et l’entraîne sur des routes où les fantasmes déjouent les désillusions, où la femme invente son épique et méduse tous les hommes.

Inexplicable vertige

Chaque soir, ici, tend à un firmament et avec l’œuvre de Pedro Ricardo Mino  Universo Jondo, même la nuit est remuée. Accompagné par El Choro à la danse et l’ardente cantaora Ananbel Valancia, le pianiste fait surgir cet irréel duende, ce vertige inexplicable, où se brisent les sensations jusqu’alors connues pour nous laisser suspendu dans une commotion inexplorée.

Arte Flamenco est l’asile éphémère de l’art dont il porte le nom. Le flamenco s’y dessine comme un des mondes fragiles, si cher à Antonio Machado, on le regarde « se colorer, de soleil et d’écarlate, voler sous le soleil bleu, trembler soudainement et se disloquer ».

► Arte Flamenco : du 29 juin au 3 juillet, Mont-de-Marsan.

www.humanite.fr

2 05/2021

Arte Flamenco 2021 : place aux femmes ! | Flamencoweb 30_04_21

dimanche 2 mai 2021|Catégories: Festivals, Spectacle Vivant|Mots-clés: |

32e Festival Arte Flamenco de Mont-de-Marsan, du 29 juin au 3 juillet 2021

vendredi 30 avril 2021 par Nicolas Vilodre

Enfin, les affaires reprennent. Le festival Arte Flamenco de Mont-de-Marsan vient d’annoncer la programmation de son édition 2021, du 29 juin au 3 juillet. Il sera précédé par le quatrième festival Flamenco en Loire (du 25 au 27 juin) et suivi par le festival de Rivesaltes, qui prend ses nouveaux quartiers à Perpignan (du 9 au 14 août), puis, en automne, par celui de Toulouse – tous évènements dont nous ne manquerons pas de vous entretenir, après un probable détour par Jerez.

 

Si l’on excepte Sandrine Rabassa, la directrice artistique du Festival Arte Flamenco de Mont-de-Marsan, la soirée de lancement de sa 32e édition (qui se déroulera du 29 juin au 3 juillet 2021) a été présentée en visioconférence par des hommes : Lionel Niedzwiecki (qui l’a animée), Xavier Fortinon (président du Conseil Départemental des Landes), Charles Dayot (maire de Mont-de-Marsan et président de l’Agglomération), Renaud Lagrave (vice-président de la région Nouvelle Aquitaine) et Antoine Gariel(directeur du Théâtre de Gascogne). Antonia Emmanuelli, absente, avait su convaincre en son temps son mari Henri, président du Conseil Général des Landes dans les années 80, de créer un festival voué à l’art andalou, un peu sur le modèle de celui consacré au jazz à Marciac, qui avait rencontré un succès retentissant. Arte Flamenco avait et a toujours l’ambition de réunir « les plus grands danseurs et musiciens flamencos du monde. » Les hommes qui, aujourd’hui encore, tiennent les cordons de la bourse de cet événement qui rayonne dans l’hexagone et en dehors de ses frontières, ont été particulièrement sensibles cette année au flamenco féminin.

La nouveauté est aussi que la manifestation se déroulera en extérieur : dans les arènes du Plumaçon, gracieusement mises à disposition des organisateurs par la ville, et sur la « scène de la bodega » qui sera transposée sur la magnifique place Saint-Roch, bordée de terrasses de cafés et de restaurants qui, bonne nouvelle, seront rouverts ! La programmation a été rendue publique en même temps que l’ont été les mesures gouvernementales du déconfinement spectaculaire – dans tous les sens de ce terme. La conférence de presse a naturellement mis l’accent sur les « cinq soirées exceptionnelles » qui se tiendront dans l’amphithéâtre à ciel ouvert de Plumaçon, sur la grande scène de 18 mètres qui sera installée dans le ruedo (cf. notre agenda). Le détail des spectacles qui seront présentés ailleurs, des actions pédagogiques, cartes blanches, expressions libres, stages et animations sera communiqué en juin sur le site d’Arte flamenco. D’ores et déjà est confirmée, l’exposition « Danse Danse avec la lune », au musée Despiau-Wlérick, qui fera le lien entre les mouvements chorégraphiques et ceux des planètes.

La bailaora Rafaela Carrasco, ex-directrice artistique du Ballet Flamenco d’Andalousie, « héritière de la grande Matilde Corral », fera l’ouverture du festival, le 29 juin, avec sa dernière création, « Ariadna, al hilo del mito« . Outre Rafaela Carrasco, on y admirera à la danse Rafael RamírezGabriel MatíasRicardo Moro et Felipe Clivio ; au chant,  Antonio Campos et Miguel Ortega ; à la guitare, Jesús Torreset Juan Antonio Suárez « Cano ». Le pianiste de Triana, Pedro Ricardo Miño, dévoilera au public français le 30 juin le spectacle qu’il a donné à l’Alcazar lors de la dernière Biennale de Séville (« Universo jondo« ), en compagnie de la cantaora lebrijana Anabel Valencia, la cousine de José du même nom, du danseur El Choro, du percussionniste Paco Vega et des palmeros Manuel Valencia et Manuel Cantarote.

Le 1er juillet sera de nouveau la fête des femmes, avec Manuela Carrasco, qualifiée de « déesse de la danse », de « beauté gitane de Triana » et de « mythe vivant », qui se produira avec la chanteuse Esperanza FernándezLa Tana et Zamara Carrasco, ainsi qu’avec sa fille, elle aussi danseuse, elle aussi prénommée Manuela (« Aires de mujer« ). A été annoncé le report à l’an prochain de la création commandée par le Festival et le Théâtre à la danseuse Patricia Guerrero. Le 2 juillet, date anniversaire de la mort de Camarón de la Isla, sera l’occasion d’une soirée de « cante jondo » sobrement intitulée « Voces« , avec deux artistes ayant obtenu le giraldillo de Séville, El Pele et Pedro el Granaíno – on sait que le second excelle à appliquer de manière personnelle le style de Camarón aux compositions d’Enrique Morente, et que le premier est l’un des cantaores les plus créatifs et inspriés de la génération postérieure (donc, à ne pas manquer). On aura droit à un bonus qui, à lui seul, méritera le déplacement : une prestation du fantasque bailaor Farruquito, petit-fils de Farruco et fils de La Farruca. En clôture du festival montois, le 3 juillet, sera donnée la suite du dialogue entamé il y a deux ans à Nîmes et, espérons-le, le début d’un tout autre, intitulé « Inicio (Uno)« , entre deux solistes d’exception, la danseuse Rocío Molina et le guitariste Rafael Riqueni, capables d’envolées lyriques comme de pureté stylistique.

www.arteflamenco.landes.fr

www.flamencoweb.fr

NB : réservations en ligne ouvertes à partir du 12 mai

Nicolas Villodre

7 07/2016

Arte Flamenco : à Mont de Marsan, le plus vieux festival de flamenco | L’Obs

jeudi 7 juillet 2016|Catégories: Festivals, Spectacle Vivant|Mots-clés: , |


© Juliette Valtiendas

Festival d’art flamenco à Mont-de-Marsan. Du 4 au 9 juillet 2016.
Le plus engagé des festivals de flamenco en France offre une nouvelle fois un superbe programme. Mais comment expliquer l’engouement des Français pour l’arte flamenco ?

Comment expliquer l’extraordinaire engouement qui a saisi les Français, devenus les plus fervents amateurs de flamenco qui soient, hors de l’Espagne ? Et jusqu’où remonter dans le temps pour expliquer la fascination qu’exerce sur eux le pays de Cervantès ou de Goya ?

Les moines de Zurbaran

A la diffusion de « Don Quichotte » ? A la création du « Cid » de Corneille, ou à celle du « Mariage de Figaro » de Beaumarchais ? A l’accession au trône d’Espagne de Philippe de France, duc d’Anjou, ce Philippe V qui fut le premier Bourbon à remplacer ses aieux Habsbourg à Madrid et à l’Escurial, et qui est l’ancêtre direct de Philippe VI, l’actuel souverain espagnol ?

Aux guerres napoléoniennes lors desquelles les actes de la plus effroyable barbarie se multiplièrent entre Espagnols et Français et firent se haïr durablement les deux peuples ? Ou plus sérieusement aux temps du Romantisme, quand Théophile Gautier chantait les martyrs écorchés de Ribera ou les moines ascétiques de Zurbaran, quand Victor Hugo célébrait Hernani ou Ruy Blas, ou quand Mérimée créait le personnage de Carmen que Bizet allait porter à une gloire universelle ?

Les sons âpres et profonds du « cante jondo »

Faut-il voir dans la fièvre flamenca qui a saisi la France depuis trois ou quatre décennies un même goût appuyé pour cet exotisme sombre et coloré qui ensorcelait les Romantiques, pour cette beauté flamboyante, ces ardeurs et cette sauvagerie dont on a fait l’apanage de l’Espagne, du moins celui des deux Castilles et de l’Andalousie ? Est-ce la fascination pour les couleurs des musiques ou des costumes, pour la sauvagerie des pas, le hiératisme cambré des hommes et des femmes dressés sur leurs ergots comme des coqs de combat, pour les sons âpres et profonds du « cante jondo », pour l’allégresse et l’énergie ensorcelante de la danse ? Ou tout simplement pour cette ivresse, cette fureur de vivre, cette exubérance dont témoignent les Espagnols et qui contraste si violemment avec la réserve, la morosité, le quant à soi des Français ?


© Juliette Valtiendas

Condamnés dans leur propre pays

Ce qui est sûr, c’est que la France est le plus extraordinaire débouché pour les artistes flamencos. On y compte de 25 à 30 manifestations qui leur sont consacrées, alors que les théâtres qui les incluent dans leur programmation ordinaire sont innombrables. Pour ce musicien qu’est le pianiste Dorantes ( le piano a été introduit dans l’univers flamenco dans les années 1960), les invitations françaises représentent la moitié de l’ensemble de ses prestations à l’étranger. Et cela vaut pour tous les guitaristes et « cantaores » du sud de la péninsule comme pour la plupart des danseurs.

Ainsi, durant les années de crise qui ont si durement frappé l’Espagne et qui ont saccagé les fragiles structures culturelles du pays, condamnant une multitude d’artistes à disparaître faute d’argent des institutions et du public pour les faire vivre, la scène française, en s’affirmant comme leur principal refuge, a permis la survie d’artistes condamnés dans leur propre pays.

Le triangle d’or

En Espagne, les hauts lieux du flamenco sont évidemment l’Andalousie et son triangle d’or dont les extrémités se nomment Séville, Grenade, Jerez de la Frontera. Ou alors Cadix, Cordoue et Malaga. Mais c’est aussi Madrid et Barcelone. On y compte pas moins de 400 festivals de flamenco, dont une quarantaine de première importance parmi lesquels évidemment brillent la Biennale de Séville ou le Festival de Jerez.

Et dans le monde, outre la France, de 40 à 45 manifestations de premier plan s’égrènent au Japon, en Italie, au Portugal, en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Pologne, mais encore au Canada, aux Etats-Unis d’Amérique, au Brésil, en Argentine, au Japon et depuis peu en Chine.

Cela génère une économie considérable qui profite aux artistes espagnols qui s’exportent à l’étranger, mais fait aussi accourir en Espagne, et singulièrement en Andalousie, des foules nombreuses qui envahissent les villes, les hôtels, les restaurants, les théâtres, les « tablaos », les écoles d’art flamenco.

Mont-de-Marsan, Jérusalem du flamenco

En France, le seul Festival « Arte Flamenco » de Mont-de-Marsan, qui célèbre cette année sa 28e édition et fait ainsi figure d’ancêtre dans ce domaine, vit sur un budget d’1,3 million d’euros et attire 30.000 spectateurs dans une ville de 30.000 âmes.

Pour les artistes flamencos, danseurs, chanteurs, musiciens, (bailaores, cantaores, musicos), ce Festival de Mont-de-Marsan fait figure de référence absolue. Si Séville est la Rome du flamenco, Mont-de-Marsan est sa Jérusalem. C’est un pèlerinage obligé, mais qui n’a rien d’un chemin de croix.

Là, depuis 29 ans, les Espagnols sont reçus dans un climat amical et allègre qui n’a sans doute pas d’équivalent dans la plupart des autres lieux où ils se produisent. Parce qu’on y cultive un véritable dialogue entre artistes et programmateurs du festival, Sandrine Rabassa en l’occurrence, et celles ou ceux qui la secondent, mais aussi une proximité festive avec le public et une atmosphère de « feria » qui révolutionne durant une semaine la petite cité. Aux artistes invités, cette atmosphère rappelle immanquablement l’Andalousie, même si nulle ville de France ne saurait jamais être aussi chaleureuse que Séville, Cadix, Jerez ou Grenade.

« Cafe cantante » ou « bodega »

Côté français, si on aime les artistes du flamenco, on en connaît aussi les limites, les caprices et les fantaisies. Il n’y a pas plus bordélique, plus indiscipliné dans l’univers du spectacle. Et quand ce sont des gitans, le phénomène est à multiplier à la puissance mille. Mais en déployant des prodiges de patience, des trésors de bienveillance, en mettant en œuvre une endurance héroïque, on parvient, année après année, à construire un festival digne de ce nom.

Cette année, outre les spectacles, les concerts, les soirées vivantes au « cafe cantante », celles de la « bodega » sur la place de l’hôtel de ville, ainsi que les cours et ateliers de chant, de danse, de guitare, de percussions proposés aux « aficionados » venus de toute la France et de pays voisins, Arte Flamenco inaugure un cycle d’enseignement passionnant destiné au grand public : dispensé par la danseuse Maïté Olivares et le guitariste El Pulga, il permettra aux spectateurs d’apprendre très concrètement à distinguer les différents styles de danse, de musique et de chant du flamenco, de façon à mieux les apprécier. Une démarche pédagogique tout à fait remarquable. Et qui devrait absolument perdurer dans ce haut-lieu du flamenco qu’est Mont-de-Marsan en France.

La guérilla des flamencos

Flamenco traditionnel ou flamenco moderniste, flamenco « puro » ou flamenco commercial, flamenco andalou ou flamenco des gitans : dans la vaste tribu flamenca, toutes les tendances désormais cohabitent. Avec le succès du flamenco au niveau mondial, les pires dérives n’ont pas tardé à apparaître. Naguère, quand le flamenco était méprisé par les Espagnols eux-mêmes et qu’il était assimilé exclusivement à la nation gitane, quand il était méconnu dans le reste du monde, il existait déjà un flamenco de café concert ou de films américains qui n’était qu’une forme apprivoisée et très abâtardie de l’âpre flamenco des gitans pauvres d’Andalousie.

A l’origine, dans sa forme dansée, il se résumait à un interprète accompagné par la guitare et (ou) par le chant. « C’était un art de vivre, un engagement d’ordre philosophique », commente un « cantaor ». Il parle là de la première moitié du XXe siècle. Aujourd’hui, le flamenco est parfois devenu une redoutable industrie.

Quand Antonio Gadès, qui avait été un danseur fabuleux, commença dans les années 1960-1970 à créer des spectacles narratifs faisant usage de la danse flamenca pour de multiples interprètes, c’était une révolution. Et une évolution sans doute obligée au moment où le flamenco, en devenant populaire, en se propageant dans les salles de théâtre, ne pouvait plus se cantonner à l’intimité des « tablaos », au dépouillement d’une danse de soliste épurée. Il se devait de séduire par des spectacles dramatiques un public élargi que des formes plus sévères auraient vite lassé. Du moins Gadès, fastueux danseur lui-même, puisait-il ses thèmes dans le patrimoine littéraire ou musical de son pays avec « La Casa de Bernarda Alba », « Carmen » ou « L’Amour sorcier » (« El Amor brujo »). Et du moins ses innovations avaient-elles un sens, même s’il exploitait à outrance les archétypes du sexisme ibérique.


© Juliette Valtiendas

Mais que dire de ces spectacles de danse flamenca qui aujourd’hui se greffent absurdement sur la vie d’Anne Franck, le conte de « Blanche Neige » ou la biographie de Frida Kahlo ? Sinon que c’est d’une bêtise désespérante. Aussi lamentable que ces comédies musicales de bas étages qui à Vienne mettent Mozart à la sauce rock ou hip hop. Incongruité pour incongruité : pourquoi ne pas évoquer alors des légendes chinoises avec des danses polonaises traditionnelles ou la vie de Goya avec des danses javanaises ?

Mais ce qui heurte beaucoup les Espagnols, c’est le ridicule dont se pare un flamenco qui se veut « conceptuel ». « Nous sommes sidérés par le succès rencontré en France par un Israël Galvan, alors qu’ici beaucoup le méprisent et qu’on le conspue à Madrid », confient des artistes andalous. « Ses postures intellectuelles sont une imposture. Lui qui se rêvait footballeur a été contraint par son père à devenir danseur. Et quand il est devenu majeur, juste pour l’emmerder, il a décidé de faire n’importe quoi, comme pour désespérer le « pater familias », farouche tenant d’une forme traditionnelle. Et les Français gobent tout, avec naïveté « , ajoute un Espagnol. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne verra jamais Israël Galvan au Festival Arte Flamenco de Mont-de-Marsan. Aussi longtemps du moins qu’il n’aura pas abandonné ses fantasmes de pseudo-créateur avant-gardiste.

Pouvoir économique

L’immense attrait qu’exerce l’art flamenco sur les publics de tant de pays lui confère par contrecoup un extraordinaire pouvoir économique dont il n’est pas sûr que les autorités politiques, espagnoles ou andalouses aient bien pris la mesure. Ou auquel, plus exactement, les pesantes administrations culturelles aux mains d’apparatchiks sans grande imagination ne savent pas souvent répondre avec intelligence.

Les artistes et leurs entours s’en plaignent amèrement. Si la délégation à la Culture de la « Junta de Andalucia » (le gouvernement autonome de l’Andalousie) apparaît très satisfaite de ses actions qui sont certes nombreuses, les milieux artistiques n’ont pas de mots assez durs pour condamner la petitesse de vue, l’absence de politique d’envergure des services culturels andalous. A telle enseigne que Madrid et que son ministère de la Culture qui n’est pourtant pas exceptionnel ont une bien meilleure réputation que le pouvoir qui siège à Séville avec sa politique culturelle. Ce que l’on voit des fonctionnaires, des politiques n’est évidemment pas très engageant. Peu d’envergure, aucune trace d’idéal ou de combativité. L’appareil socialiste au pouvoir a investi le domaine culturel andalou avec les mêmes défauts que ceux qui ont vu ce parti se discréditer partout en Espagne

« Et encore, nous, artistes flamencos, nous avons cette chance inouïe d’être portés par le marché culturel extérieur. Mais quelle tragédie pour les gens de théâtre ou ceux de la musique classique par exemple qui n’ont pas de réels débouchés hors du territoire national et dépendent absolument des institutions locales. Pour eux, l’absence de politique culturelle digne de ce nom est véritablement catastrophique ».

L’El Dorado français

Dans un tel contexte, comment s’étonner que la France, malgré ses errances, ses compromissions, ses défaillances, fasse aux yeux des Espagnols figure d’eldorado avec son riche réseau de théâtres, ses festivals, ses subventions, sa politique culturelle, son public qui paraît inépuisable. Et qu’Arte Flamenco, à Mont-de-Marsan, entreprise d’envergure, mais honnête et militante, qui draine un vaste public, se propage dans les écoles, les hôpitaux ou les prisons et respecte les artistes comme nulle par ailleurs, y fasse figure de saint des saints. On y découvrira cette année des icônes comme Sara Baras, Belén Maya ou la belle Patricia Guerrero parmi les multiples danseuses ; Antonio Canales, Antonio « El Pipa » ou Joaquin Grilo parmi les grands danseurs ; ce beau chanteur qu’est Cristian Guerrero, accompagné par Dorantes au piano ou par Manuel de la Luz ou Diego del Morao à la guitare.

« El Lebrijano », autrement dit Juan Pena, haute figure du chant gitan, une légende déjà, ainsi que les guitaristes Rafael Riqueni et Santiago Lara rehaussent encore de leurs présences ce programme opulent sans qu’on oublie les « bailaores » Alvaro Panos et Carmen Manzanara qui se produisent dans le spectacle « El Alma de Andalucia » conçu en hommage au peintre Romero de Torres … au cours d’un dîner gastronomique établi par le chef de cuisine François Duchet. On est en France, malgré tout !

Raphaël de Gubernatis

Arte Flamenco. Festival d’art flamenco à Mont-de-Marsan. Du 4 au 9 juillet. 05-58-76-18-74.

Source : L’Obs

4 07/2016

« Arte Flamenco »: A pas d’Andalou | Paris-Match

lundi 4 juillet 2016|Catégories: Spectacle Vivant|Mots-clés: , |

Alors que le festival Arte Flamenco va s’ouvrir à Mont-de-Marsan, nous sommes allés à Séville rencontrer les artistes phares de cette 28e édition.

Mont-de-Marsan n’offre pas les trésors architecturaux de l’Andalousie mais s’y connaît en fiestas, depuis presque trente ans que son festival Arte Flamenco existe. « C’est peut-être un petit festival à vos yeux, mais pour les artistes du flamenco c’est l’un des tout premiers », résume le Français installé à Séville Yacin Daoudi « Moreno », programmé cet été. Il y côtoiera d’autres espoirs et des stars du genre tel le danseur Antonio Canales attendu en duo avec El Grilo.

Rencontrer Canales à la terrasse d’un bar de Séville est toujours un grand moment, entre les fans qui lui demandent un selfie et ses envies soudaines de répondre aux questions en chantant ! « C’est normal que le flamenco évolue. Il y a eu celui des années 1980 – mes débuts – et le flamenco contemporain aujourd’hui. Les Israel Galvan ou Rocio Molina sont un peu comme vos Maguy Marin et Angelin Preljocaj de la danse contemporaine en France. Regardez les changements au cinéma depuis les années 1920 : pourquoi le flamenco devrait rester statique ? »

La crise en Espagne a laissé plus d’un artiste sur le carreau

Canales revient à Mont-de-Marsan sans stress. « Avec l’âge, on donne plus sur scène en en faisant moins. » Cet interprète s’est un peu assagi après des années d’excès. Le festival landais se fait fort, également, de pister les talents de demain, comme le chanteur Cristian Guerrero ou la danseuse Patricia Guerrero – aucun lien de parenté : il vient de Barcelone, elle de Grenade. « Mais Séville m’a traitée avec bienveillance, sourit Patricia. La France est très importante pour le flamenco. C’est le pays qui, avec le Japon, nous aide le plus. »

La crise en Espagne a laissé plus d’un artiste sur le carreau. Dorantes, grand pianiste, en fait l’amer constat : « Des gens de valeur ont dû freiner leur rythme de travail. Cela a des conséquences sur les familles entières. Mais les artistes se sont retrouvés également dans une certaine solidarité, devenant plus créatifs… » Dorantes sera à Arte Flamenco l’invité du danseur Antonio El Pipa pour l’une de ces soirées originales comme le festival les affectionne. On lui demande quel conseil il donnerait à un jeune espoir. « Certains interprètes se referment trop sur leur instrument. Il ne faut pas hésiter à lui donner des coups de pied, au piano ! » Même si on imagine mal ce génial musicien maltraiter son « compagnon » de scène ! A Mont-de-Marsan, entre la compagnie de Sara Baras et le solo de Belen Maya, le public averti du « café Cantante » guettera le « duende », ce fameux état de grâce survenant parfois au cours d’un concert, d’un récital de danse. « Le duende, c’est lorsque tout s’harmonise et que la sensualité est à fleur de peau », résume Dorantes. « Le flamenco, c’est le temps étiré. Tu attends que la muse arrive », reprend Antonio Canales. En résumé, un art majuscule.

Arte Flamenco, du 4 au 9 juillet, à Mont-de-Marsan.

arteflamenco.landes.fr

Source : Paris-Match