TARTUFFE mise en scène décor et costumes Macha Makeïeff | La Terrasse 24_11_21
TARTUFFE Théorème, texte Molière / mise en scène, costumes, décor Macha Makeïe
LA CRIÉE – THÉÂTRE NATIONAL DE MARSEILLE/THÉÂTRE DES BOUFFES DU NORD / TEXTE MOLIÈRE / MISE EN SCÈNE, COSTUMES, DÉCOR MACHA MAKEÏEFF
Publié le 24 novembre 2021 – N° 294
Parti des dévots, la Compagnie du Saint-Sacrement, qui lutte avec ardeur contre tout comportement supposé manquer de respect à la religion catholique, a sans doute contribué en 1664 à faire interdire les représentations de Tartuffe. La censure a duré quelques années, et ce n’est qu’en 1669 que le protégé de Louis XIV et son illustre troupe jouent enfin la pièce, dans une version remaniée intitulée Le Tartuffe ou l’Imposteur. Quant au titre choisi par Macha Makeïeff – TARTUFFE Théorème –, il accorde au personnage de Tartuffe une dimension pasolinienne en l’associant à l’Envoyé de Théorème, jeune homme qui s’introduit au sein d’une riche famille milanaise, séduit sexuellement chacun et chacune, puis s’en va. « Tartuffe n’opère pas pour son compte, il est un agent de la secte et sous son regard. » explique la metteure en scène. Cet aspect apparaît explicitement lors d’une scène collective et cérémonielle. C’est un défi d’interpréter un tel « envoyé », manipulateur et séducteur, mais aussi intrus venu d’ailleurs et comme absent au monde, n’existant pas pour soi mais uniquement dans le rapport de possession qu’il exerce. Intemporel, insensible, charismatique, Tartuffe est ici un ange noir inquiétant et glaçant, un révérend destructeur que Xavier Gallais interprète avec toute l’ambivalence et la part de folie requises. Un ange noir aussi invasif qu’un corbeau hitchcockien, aussi mystérieux qu’un fantôme ou son double…
Une famille sous influence
Infiltré dans une famille bourgeoise de la fin des années 1950, l’hypocrite dévot en exacerbe les dysfonctionnements, en révèle les contradictions. Dans sa mise en scène de Trissotin ou Les Femmes Savantes (2015), incandescente et pétillante, Macha Makeïeff pointait déjà les désordres et les violences des relations familiales. Dans une atmosphère ici davantage marquée par la noirceur et l’étrangeté, seule madame Pernelle (géniale Jeanne-Marie Lévy), la mère d’Orgon, se révèle très drôle, de même que le personnage si burlesque de la Bonne (hilarant Pascal Ternisien). A l’inverse d’Orgon (Vincent Winterhalter épatant, en alternance avec Arthur Igual), victime consentante et aveugle, les personnages féminins s’affirment ici dans leur présence résistante et désirante, telles Elmire, interprétée avec finesse et maîtrise par Hélène Bressiant, Dorine, qui ose dire et dénoncer avec aplomb (parfaite Irina Solano), ou encore Mariane (touchante Nassima Bekhtaoui), peu aidée dans son combat contre son père par l’indélicat Valère (impeccable Jean-Baptiste Le Vaillant). Damis, le fils d’Orgon, (remarquable Loïc Mobihan), comme Cléante, le frère d’Elmire (volontaire Jin Xuan Mao), se débattent dans un maelström qu’ils ne contrôlent pas. L’ensemble questionne la déliquescence des relations filiales, la thématique de la prédation, du consentement, lorsque vice et vertu se confondent dangereusement. Hautement contemporain, ce sillon interroge ces zones grises si difficiles à caractériser, ces phénomènes d’emprise illimitée, agissant politiquement et/ou religieusement.
Agnès Santi