Maïa Sandoz, meilleure amie d’enfance et metteuse en scène de Blanche Gardin pour son spectacle « Je parle toute seule », fait ici le pari d’une adaptation sonore.
On est allé voir Par Julien Vallet – Publié le 04/01/2022 à 20:00
La comédienne Maïa Sandoz signe une adaptation sonore originale et très drôle de la non moins comique bande dessinée de Fabcaro, portrait acide de notre société du spectacle abordé sous le prisme de l’absurde.
Un jour, à la caisse, Fabrice, un auteur de bande dessinée, sorte de double de l’auteur Fabcaro, découvre par hasard – terrible crime ! – qu’il a oublié sa carte de fidélité du magasin. Menacé par un vigile qui lui hurle de lâcher le poireau qu’il tient à la main avant d’effectuer une périlleuse roulade arrière, il préfère prendre la fuite. Devenu un fugitif en cavale, traqué par toutes les polices de France, Fabrice se réfugie en Lozère, où personne ne comprend le français local, pour y retrouver par hasard son amour de jeunesse, laquelle s’égaye dans une vie bourgeoise, dans sa villa à 200 000 euros dotée d’une cheminée en pierre de taille dont elle est très fière.
Pendant ce temps, le petit monde des commentateurs médiatiques s’écharpe : y a-t-il une radicalisation dans la communauté des auteurs de bande dessinée ? Surtout, pas d’amalgame ! Rattrapé par la brigade, Fabrice sera finalement condamné à chanter « Siffler sur la colline » de Joe Dassin – et son refrain « Zaï Zaï Zaï Zaï » qui donne son titre à l’œuvre – en karaoké. Ouf ! Il a échappé à « Mon fils, ma bataille » de Daniel Balavoine – beaucoup plus ardue.
Vous trouvez ça complètement absurde et barré ? Nous aussi ! C’est précisément ce qui fait la marque de l’humour joyeusement décalé et déjanté de Fabcaro et de « Zaï Zaï Zaï Zaï » sa bande dessinée la plus fameuse, qui lui a apporté une notoriété soudaine à sa sortie en 2015, dont il s’est lui-même moqué par la suite dans ses albums suivants. On s’était déjà dit à la lecture que cette histoire aurait donné lieu à un super film. Une adaptation sur grand écran doit d’ailleurs sortir en février prochain. Mais au lieu d’une adaptation théâtrale classique un peu casse-gueule, très difficile à reproduire tant les rebondissements sont nombreux, Maïa Sandoz, meilleure amie d’enfance et metteuse en scène de Blanche Gardin pour son spectacle « Je parle toute seule », fait ici le pari d’une adaptation sonore.
RÉALISTE ET DÉJANTÉ
Sept comédiens derrière leurs micros, dans la grande tradition des dramatiques radiophoniques, imitent tour à tour tous les personnages et surtout « bruitent » les transitions et les ambiances, comme une messe ou un trajet en voiture. Un enregistrement radio ? demanderez-vous peut-être en levant le sourcil, sceptiques. N’ayez pas peur, ne prenez surtout pas la fuite (contrairement à Fabrice) ! Car il existe bien des façons de consommer et d’apprécier du théâtre et celle-ci n’en est qu’une parmi d’autres. Et surtout, car la langue de Fabcaro, son univers aussi durement réaliste que totalement déjanté, s’écoute plus qu’elle ne se voit.
Et en plus, ça fonctionne ! Grâce au talent des comédiens, capables d’incarner trois personnages distincts en une minute et de générer toute sorte de bruitages, le spectateur ne s’ennuie pas un instant. En à peine une heure, tout y passe, tout y est joyeusement parodié et massacré : les reporters des chaînes infos et leurs enquêtes de voisinage absurdes, les journalistes façon Augustin Trapenard qui posent des questions absconses et interminables, les débats entre hommes politiques où tout est question de posture, les grenouilles de bénitier complotistes… Sans oublier l’automobiliste qui déclare le plus sereinement du monde à notre héros-fugitif : « Je ne vais pas vous prendre, je suis individualiste. »
Même le narcissisme et l’attentisme de la propre corporation de l’auteur, les auteurs de bande dessinée, s’y retrouvent étrillés avec délectation. Voici en somme une satire du cirque médiatique et notre société du spectacle contemporaine, un portrait acide de la France d’aujourd’hui où toutes les idoles de la modernité sont piétinées avec allégresse grâce à cet humour ravageur devenu la marque de fabrique de Fabcaro. Si les performances des comédiens sont parfois inégales, certains maîtrisant mieux l’imitation que d’autres, le spectateur ressort conquis et rasséréné de cette petite heure d’enregistrement, avec le secret désir que d’autres metteurs en scène investissent à leur tour ce format du théâtre sonore.
« Zaï Zaï Zaï Zaï », Théâtre de l’Atelier (Paris 18e), à 19 h, 1 h, Jusqu’au 23 janvier.